09 sep 2024
Biopsie liquide et transplantation rénale - Valeur additionnelle de l’ADN libre issu du donneur
Romain BROUSSE, CH Tenon, Paris
La pratique de la médecine moderne fait appel à l’utilisation quotidienne de biomarqueurs, notamment en néphrologie. Ceux-ci sont définis par l’European Medicines Agency comme des paramètres mesurables indiquant des processus biologiques normaux ou pathologiques, ou encore des réponses pharmacologiques à une intervention thérapeutique.
Pour la prise en charge des maladies rénales, les plus couramment utilisés sont la créatinine plasmatique et la protéinurie. En transplantation d’organe, la recherche d’anticorps anti-HLA spécifiques du donneur (DSA) s’est imposée comme un test central pour le diagnostic du rejet médié par les anticorps (AMR). L’utilisation large de ces différents paramètres, à visée pronostique ou diagnostique, est liée à leur forte association avec un événement clinique d’intérêt tel que l’insuffisance rénale terminale pour la créatinine et l’AMR pour les DSA. Néanmoins, ces biomarqueurs ne sont pas toujours nécessaires ni ne sont suffisants pour confirmer la survenue de l’entité qu’ils entendent traduire. En ce sens, en transplantation, le « gold standard » pour porter le diagnostic de rejet reste l’étude histologique du greffon, nécessitant donc de réaliser une ponction-biopsie. Cette nécessité de confirmation est liée à une sensibilité et à une spécificité imparfaite des différents biomarqueurs, aucun n’étant parfait. Ainsi, même utilisés de manière combinée, les biomarqueurs non-invasifs conventionnels peuvent régulièrement être pris en défaut. Un cas illustratif est par exemple celui du rejet « infraclinique », c’est-à-dire sans élévation de la créatinine, sans protéinurie, et parfois sans DSA. En transplantation rénale, ces limites ont conduit certains centres à recourir à des biopsies dites de dépistage, c’est-à-dire réalisées même en l’absence de signe clinique ou biologique de rejet. Néanmoins, la réalisation de telles biopsies ne fait pas consensus à l’échelle mondiale, toutes les équipes n’y ayant pas recours. Les principaux freins à leur utilisation sont leur faible rentabilité diagnostique et bien évidemment, le risque de complications inhérent à la procédure de ponction-biopsie.
Dans un souci de limiter le nombre d’actes invasifs chez les patients transplantés, de nombreuses équipes travaillent à la découverte et à la validation de biomarqueurs non invasifs spécifiques du rejet. Ceux-ci doivent permettre de le détecter plus précocement, mais également d’écarter sa présence de manière fiable chez les patients lorsqu’il est absent et ainsi permettre de surseoir à la réalisation d’une biopsie du greffon lorsque la probabilité est jugée négligeable. Néanmoins, malgré un nombre de publications et de candidats biomarqueurs conséquent, très peu sont utilisés par l’ensemble des équipes de transplantation à l’échelle mondiale en dehors du trio créatinine, protéinurie et DSA. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer cette discordance entre l’abondance de travaux publiés et le caractère restrictif du nombre de biomarqueurs utilisés en pratique quotidienne. Parmi les différentes limites observées dans les études, on peut notamment citer la faible proportion de travaux validant le candidat biomarqueur à large échelle, la comparaison fréquente du biomarqueur dans des situations manichéennes (par exemple : biopsie montrant un rejet vs biopsie normale) ne reflétant toutefois pas la vie réelle (où les biopsies subnormales abondent et où les situations complexes sont nombreuses) ou encore l’absence de quantification de la valeur diagnostique additionnelle du nouveau biomarqueur par rapport aux paramètres de référence(1). En effet, pour qu’un biomarqueur non-invasif soit remboursé et utilisé largement, on attend de celui-ci qu’il apporte une information supplémentaire à celle déjà fournie par les ceux utilisés en routine ou qu’il permette, par exemple, de les remplacer lorsqu’ils sont couteux ou complexes à mesurer. Ainsi, peu de biomarqueurs non-invasifs associés au rejet ont montré une valeur diagnostique additionnelle au-delà de la combinaison créatinine, protéinurie, DSA.
Néanmoins, l’ADN libre issu du donneur constitue un biomarqueur prometteur en transplantation.
En effet, depuis un peu plus d’une décennie désormais, le dosage plasmatique de l’ADN libre est utilisé dans un nombre croissant de situations cliniques. Cet ADN circulant, extranucléaire et extracellulaire, est un produit de l’apoptose et est susceptible d’être détecté puis quantifié dans le plasma sans génotypage préalable via la présence de polymorphismes mononucléotidiques. En dehors de la transplantation d’organe, sa mesure permet par exemple de rechercher des anomalies génétiques fœtales durant la grossesse(2), de détecter de l’ADN tumoral dans le dépistage de différents cancers(3), ou encore de détecter la présence d’ADN issu de plusieurs pathogènes microbiens(4). Ainsi, les différences génétiques entre le donneur et le receveur au cours de la transplantation rénale (à l’exception des jumeaux monozygotes) permettent de quantifier l’ADN libre provenant de l’apoptose des cellules du greffon et ont logiquement conduit à son développement en tant que biomarqueur du rejet.
L’étude présentée ici(5) aborde la question de la valeur additionnelle de l’ADN libre issu du donneur (donor-derived cellfree DNA, dd-cfDNA) dans le diagnostic du rejet en transplantation rénale. La méthodologie de cette étude était la suivante : au moment de la réalisation d’une biopsie de greffon, quelle qu’en soit la raison, différentes données cliniques et biologiques étaient collectées ainsi qu’un tube de plasma pour quantifier le dd-cfDNA. L’association entre les différents paramètres et le diagnostic de rejet (médié par les anticorps, cellulaire ou mixte) était quantifiée via un modèle de régression logistique uni- puis multivarié. À l’issue de ces analyses, les paramètres qui restaient indépendamment associés au rejet ont été utilisés pour construire un modèle de prédiction du rejet. Deux modèles ont vu leurs performances évaluées, un avec le dd-cfDNA, un sans dd-cfDNA, ceci afin d’apprécier sa valeur diagnostique additionnelle. Deux-mille-huit-cent-quatre-vingt-deux patients ont été inclus dans 14 centres, en Europe et aux États-Unis. Dans un premier temps, l’association entre le pourcentage de dd-cfDNA et les différents diagnostics de la classification de Banff est détaillé par les auteurs, montrant que les plus hauts niveaux de dd-cfDNA sont observés chez les patients avec un diagnostic de rejet contrairement aux autres catégories diagnostiques de Banff. Par ailleurs, une augmentation des taux de dd-cfDNA était observée avec l’augmentation des scores de Banff pour les lésions inflammatoires (g, ptc, i, t, ti, C4d), mais pas avec les lésions chroniques irréversibles (cv, ah, cg, ci, ct, mm), suggérant la possibilité d’utiliser le dd-cfDNA comme outil de suivi de la réponse au traitement des lésions de rejet contrairement à la créatinine qui s’élève aussi bien en cas de lésion active que chronique. Enfin, après analyse multivariée, le dd-cfDNA était indépendamment associé au rejet et permettait d’augmenter significativement les performances diagnostiques d’un modèle diagnostic en améliorant à la fois son aire sous la courbe ROC (capacité du modèle à assigner une probabilité plus élevée de rejet à un patient ayant effectivement un rejet par rapport à un patient n’en ayant pas) ainsi que sa calibration (adéquation entre le nombre de rejets prédits par le modèle et le nombre de rejets réellement observés).
Cette étude est à ce jour la plus large publiée en ce qui concerne l’association entre différents biomarqueurs et le rejet de greffon rénal et est la première à évaluer aussi largement l’apport diagnostic du dd-cfDNA. Néanmoins, celle-ci ne permet pas d’anticiper l’utilité du dd-cfDNA en plus des biomarqueurs de référence en pratique clinique. À ce titre, une étude prospective Européenne évaluant l’intérêt d’un suivi basé sur l’évaluation du risque de rejet selon le modèle incluant le dd-cfDNA vient de se terminer (NCT04774575), ses résultats devant être communiqués prochainement.
En conclusion, le dd-cfDNA confirme dans cette étude sa forte association avec le rejet de greffon rénal et démontre à large échelle sa valeur diagnostique additionnelle au-delà des biomarqueurs de référence. Son utilité clinique doit néanmoins encore être confirmée dans une étude prospective randomisée multicentrique qui vient de s’achever récemment.
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.
pour voir la suite, inscrivez-vous gratuitement.
Si vous êtes déjà inscrit,
connectez vous :
Si vous n'êtes pas encore inscrit au site,
inscrivez-vous gratuitement :