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Angiologie-Vasculaire

29 mai 2024

Plasmaphérèse dans la prise en charge des vascularites à ANCA, la fin d’une technique ?

Romain ARRESTIER, Médecine intensive et Réanimation, Hôpital Henri-Mondor AP-HP, Créteil

Dans cet article nous allons parler d’une étude parue récemment, analysant l’effet des échanges plasmatiques (EP) dans le traitement d’attaque des patients présentant une vascularite à ANCA (VAA) avec une hémorragie intra-alvéolaire (HIA). Nous en profiterons pour rappeler et discuter les résultats des principales études sur le sujet et essayer de tirer une conclusion sur l’utilisation des EP dans ce contexte. Notre focus portera uniquement sur le traitement d’attaque et nous n’évoquerons pas les modalités du traitement d’entretien.

Les VAA sont la première cause de glomérulonéphrite rapidement progressive, principalement représentées par la granulomatose avec polyangéite (ex-maladie de Wegener) et la polyangéite microscopique (PAM), mais restent des pathologies rares dont l’incidence annuelle est d’environ 20 à 30 cas par million d’habitants(1,2). Leur morbi-mortalité est élevée car 20 à 30 % des patients atteints vont décéder ou développer une insuffisance rénale chronique terminale (IRCt) dans l’année suivant le diagnostic(3). La littérature des 15 dernières années est riche sur le sujet, s’intéressant notamment sur la prise en charge thérapeutique. Il est maintenant bien établi que le traitement d’attaque doit associer une corticothérapie systémique, en débutant par des bolus sur les 3 premiers jours, suivis par un schéma de corticothérapie à décroissance rapide(3,4) afin d’en limiter les effets secondaires et d’y associer une immunosuppression par cyclophosphamide ou rituximab, ces deux traitements ayant montré leur non-infériorité l’un par rapport à l’autre chez les patients les moins graves(5). Les patients présentant des atteintes sévères (insuffisance rénale aiguë (IRA) avec créatinine > 350 µmol/L ou une HIA) étaient exclus des études comparant ces deux traitements, et du fait du délai d’action théoriquement plus long du rituximab, le cyclophosphamide reste privilégié chez ces patients souvent hospitalisés en soins intensifs ou en réanimation. À ce traitement d’attaque médicamenteux, l’adjonction d’EP est souvent discutée. L’intérêt porté aux EP dans le traitement des VAA est ancien et se base sur une hypothèse d’épuration des anticorps pathogènes, par analogie au syndrome de Goodpasture. La première étude randomisée à s’intéresser à la question est l’étude MEPEX, publiée par Jayne et al. en 2007 dans le Journal of American Society of Nephrology(6), qui incluait 137 patients avec une VAA ayant une IRA sévère avec une créatinine > 500 µmol/L recevant un traitement standard par corticoïde 1 mg/kg associé à du cyclophosphamide et qui étaient randomisés dans un bras où ils recevaient des bolus de solumédrol avant le traitement standard, et dans un autre bras où était associé au traitement standard, 7 séances d’EP. Cette étude montrait un bénéfice des EP sur l’incidence de l’IRCt à 1 an mais sans différence sur la mortalité. Cette étude présente de nombreux biais et a été critiquée à plusieurs niveaux. D’abord, on peut se poser la question de la pertinence de comparer les EP à des bolus de solumédrol. Ensuite, le taux de mortalité observé dans cette étude était particulièrement élevé, donc probablement peu représentatif de la vraie vie. Enfin les patients les plus sévères étaient exclus de l’étude et le suivi seulement d’un an, et lorsque les données des patients inclus ont été analysées sur le plus long terme (jusqu’à 10 ans post-randomisation) on observe que l’effet sur l’incidence de l’IRCt disparait au cours du suivi et la différence devient non significative entre les bras de traitements(7). Une deuxième étude randomisée a donc été réalisée, par l’équipe de Walsh et al., l’étude PEXIVAS, publiée en 2020 dans le New England Journal of Medicine(3). Dans cette étude, 704 patients ont été inclus avec des critères plus larges, l’IRA pouvait être moins sévère (DFG < 50 mL/min) et les patients avec HIA pouvaient être inclus. Cette fois-ci tous les patients recevaient des bolus de solumédrol et subissaient ensuite une double randomisation afin de comparer un bras EP contre un bras sans EP et un bras avec une dose standard de corticoïdes et un bras avec une dose réduite. Le critère de jugement principal était un critère composite associant la mortalité ou la survenue d’une IRCt à 1 an et le suivi s’est poursuivi jusqu’à 6 ans post-randomisation sans retrouver de différence significative entre le groupe EP et le groupe sans EP (quel que soit le sous-groupe analysé). Le schéma faible dose de corticoïdes permettait de diminuer le nombre d’évènement infectieux à 1 an de prise en charge et ne présentait pas de différence sur les critères de mortalité et IRCt. Les auteurs de PEXIVAS publient donc cette année dans l’American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine une analyse post-hoc de l’étude PEXIVAS faisant une analyse sur le sous-groupe des patients avec HIA(8). Cette étude est intéressante car l’HIA concerne 20 à 30% des patients avec une VAA et ceux-ci ont une mortalité à 1 an importante, jusqu’à 50 %. Pour rappel les critères d’inclusion de PEXIVAS étaient : 1) Poussée inaugurale ou rechute d’une VAA ; 2) Atteinte d’organe sévère à savoir : a. glomérulonéphrite définie par une preuve histologique, ou par la présence d’une hématurie avec une protéinurie, et d’une IRA avec un DFG < 50 mL/min/1,73 m² depuis moins de 3 mois, b. Diagnostic d’une HIA avec des critères cliniques, biologiques et radiographiques. Sur le plan méthodologique, l’étude ne présente pas de caractéristique particulière, il s’agit d’un essai randomisé. Des sous-groupes ont été définis au préalable en fonction du type d’ANCA, de la fonction rénale et du traitement d’induction immunosuppresseur (cyclophosphamide ou rituximab) et le suivi a été censuré à 1 an. Le critère de jugement principal était la survie à 1 an. Sur les 704 patients de PEXIVAS, 191 (27,1 %) présentaient une HIA dont 61 (31,9 %) avec une HIA sévère et 29 (47,5 %) nécessitant une ventilation mécanique invasive. Les patients avec une HIA avaient plus fréquemment des anticorps anti-PR3 que ceux sans HIA (51,8 % vs 36,5 %, p < 0,001), ils étaient plus fréquemment dialysés à la randomisation (25,3 % vs 18 %, p = 0,033). Le traitement immunosuppresseur le plus utilisé était le cyclophosphamide intraveineux (56 % des patients). Les différents stades de sévérité d’HIA étaient bien répartis entre les groupes de randomisation. La mortalité à 1 an était supérieure pour les patients avec une HIA par rapport à ceux qui n’en avait pas (12 % vs 6,6 %, p = 0,019) et cette surmortalité s’observait principalement au dépend des patient avec une HIA grave (hazard ratio 5,17 [2,8-9,56], p < 0,001). Le taux d’IRCt à 1 an n’était en revanche pas différent entre les groupes (13,1 % vs 16 %, p = 0,34). La mortalité n’était pas différente selon le bras de traitement EP ou pas de EP et dose standard de corticoïdes versus dose réduite (figures 1a et 1b). Toutefois, les auteurs rapportent une diminution du nombre de jours de ventilation mécanique pour les patients ayant reçu un régime de corticoïdes faible dose, probablement en lien avec la diminution des évènements infectieux observés dans l’étude princeps. Ces résultats sur la mortalité étaient similaires après ajustement sur l’âge, le sexe, le type d’ANCA, la sévérité de l’atteinte rénale et le traitement initial. Figure 1. Survie à 1 an en fonction de la sévérité de l’HIA selon le groupe de traitement EP et absence de EP (a.) et selon le groupe de dose de corticoïdes (b.).   En conclusion de cette étude, on peut retenir que les patients avec une HIA ont une surmortalité par rapport aux autres, particulièrement ceux avec une HIA grave, mais que le taux d’IRCt à 1 an semble similaire. L’adjonction d’EP au traitement d’attaque standard ne permet pas d’avoir un effet sur la mortalité chez les patients avec HIA tandis que la dose réduite de corticoïdes semble permettre une diminution du nombre de jour de ventilation invasive. Après avoir montré que les EP ne présentaient pas de bénéfice sur l’insuffisance rénale chronique et la mortalité pour les patients avec une VAA, cette étude post-hoc vient renforcer ces résultats en ce qui concerne le sous-groupe des patients présentant une HIA.   La question que l’on peut se poser finalement c’est doit-on définitivement enterrer la plasmaphérèse dans la prise en charge des VAA ? Probablement que non… En effet, il semble que l’avenir soit à une meilleure personnalisation de la prise en charge, notamment en phénotypant plus précisément les caractéristiques des patients atteints d’une poussée de VAA afin d’identifier ceux qui pourraient bénéficier de cette thérapeutique et ceux qui n’en bénéficieront pas. Dans cette optique on peut citer l’étude rétrospective de Nezam et al. publiée dans le Journal of American Society of Nephrology en 2022 qui évaluait le bénéfice des EP en fonction des données cliniques, biologiques et histologiques (donc en fonction de la biopsie rénale). Les auteurs construisent un score qui leur permet d’identifier les patients pour lesquels les EP auraient eu un effet bénéfique en plus des autres traitements. On peut retenir de ce score que les patients jeunes (< 45 ans), avec une des anticorps anti-myélopéroxydase ou une atteinte type PAM, une IRA grave (> 400 µmol/L de créatinine) et avec une atteinte histologique principalement constituée de croissants semblaient bénéficier de la plasmaphérèse par rapport aux autres(9). On peut également citer une récente méta-analyse qui reprenait l’ensemble des données de plusieurs études concernant les EP (dont MEPEX et PEXIVAS) et qui retrouvait un bénéfice des EP sur le risque d’IRCt à 1 an pour les patients avec une atteinte rénale sévère (créatinine > 300 µmol/L)(10). Le message clé à retenir à l’heure actuelle est qu’en l’absence de nouvelle étude randomisée les échanges plasmatiques ne doivent pas être considérés comme indispensables dans le traitement des VAA et ne doivent pas être démarrés à tout prix en urgence. La prise en charge doit s’axer principalement sur l’administration précoce de corticoïdes (en bolus puis à posologies réduites) associés à un immunosuppresseur (cyclophosphamide pour les patients les plus graves, rituximab pour les autres) le plus tôt possible, le retard au traitement (> 3 jours) ayant été montré comme associé à une surmortalité(11). Les échanges plasmatiques doivent être réalisés en cas d’HIA grave avec une incertitude diagnostic avec un syndrome de Goodpasture ou d’une vascularite double positive (ANCA + anticorps anti-membrane basale glomérulaire) ou en deuxième intention au cas par cas chez des patients particulièrement graves ou ne s’améliorant pas après une première ligne thérapeutique comme le recommande le Groupe français d’étude des vascularites. En effet, le risque à mettre en balance avec un potentiel bénéfice des EP (à ce jour non démontré), est l’augmentation du risque infectieux retrouvé dans plusieurs études(10,12). La personnalisation de l’utilisation de la plasmaphérèse en fonction des caractéristiques des patients, notamment par l’utilisation des données de la biopsie rénale devra être évaluée par des études prospectives mais semblent être l’avenir pour la poursuite de l’utilisation de cette thérapeutique dans les VAA.   Lecture critique de l’article “Alveolar Hemorrhage in ANCA-associated Vasculitis: Results of an International, Randomized, Controlled Trial (PEXIVAS)” paru dans American Journal of Critical Care and Respiratory Medicine en février 2024 et revue de la littérature

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