10 juil 2024
Révolution diagnostique en néphrologie - La démocratisation des tests génétiques bouscule les pratiques
Thomas ROBERT, néphrologue, Marseille
La néphrologie, domaine souvent plongé dans les méandres des affections chroniques et des diagnostics incertains, connaît une révolution silencieuse mais profonde. L'avancée des tests génétiques larges, tels que le séquençage de l'exome, nous offre désormais une fenêtre lumineuse sur les néphropathies d'origine indéterminée, modifiant notre compréhension et notre manière d'appréhender les maladies rénales héréditaires.
Contexte
Les maladies rares, ces affections souvent oubliées, sont définies comme touchant une personne sur deux mille. Avec une population de 459 millions d'âmes en Europe, on estime qu’environ 30 millions souffrent de telles pathologies, principalement d'origine génétique.
Les chiffres du registre REIN 2021 sont révélateurs : 18 % des patients débutant un traitement de suppléance souffrent de néphropathies d’origine indéterminée. En ajoutant les cas de néphropathies hypertensives et vasculaires, ce pourcentage grimpe à 43 %, illustrant une prévalence troublante de diagnostics incertains. Seuls 5 % des patients au stade terminal de l’insuffisance rénale sont étiquetés d’origine génétique.
L'émergence des tests génétiques accessibles bouleverse notre vision des maladies rénales rares. Les néphropathies d’origine indéterminée, souvent énigmatiques pour les médecins, sont désormais explorées sous un jour nouveau, redéfinissant les certitudes enseignées depuis des décennies.
Données récentes
Deux études françaises récentes (PMID 36938085 et PMID 38186885) ont apporté un éclairage nouveau en séquençant l'exome de patients atteints de néphropathies d'origine indéterminée. Les résultats, avec un rendement diagnostique de 24 % et 32,8 % respectivement, sont édifiants. Les collagénopathies ont dominé le tableau, avec une prévalence notable du syndrome d’Alport autosomique dominant (COL4A3 et COL4A4) surpassant le syndrome d’Alport lié à l’X (COL4A5) classiquement sur le haut du podium des collagénopathies. L’errance diagnostique a ainsi été stoppée pour près d’un tiers des patients.
Cela met en lumière l'importance de l'histoire familiale comme facteur prédictif de succès des tests génétiques. Une consultation spécialisée en néphrogénomique s'avère cruciale pour optimiser le processus diagnostique.
Conclusion et…
Un diagnostic de néphropathie génétique doit devenir la norme pour tous les néphrologues de France et de Navarre. Les néphropathies héréditaires sont rares en population générale mais fréquentes chez les néphropathes. Ces études soulèvent une autre question fondamentale : une stratégie "exome first" dans le diagnostic des maladies rénales pourrait-elle surpasser la traditionnelle biopsie rénale chez les patients ayant des antécédents familiaux ? La démocratisation des tests génomiques incarne une révolution comparable à l'introduction de la biopsie rénale il y a un demi-siècle.
Les termes usités comme "membrane basale fine" ou "hyalinose segmentaire et focale" révèlent leurs limites, ne reflétant pas la complexité des mécanismes sous-jacents. Ils sont eux-mêmes trompeurs et induisent les chercheurs en erreurs. Un exemple récent d’une équipe Allemande dirigée par le Dr Huber Tobias (PMID 38804512) a récemment démontré une origine auto-immune chez certains patients atteints de syndrome néphrotique idiopathique ou de hyalinose segmentaire et focale, renforçant l'idée d'une approche physiopathologique plutôt qu'histopathologique. Des voix comme celle de Paola Romagnani appellent à cette nouvelle approche (PMID 37218714), centrée sur les mécanismes physiopathologiques.
… perspectives
Les tests génétiques larges deviennent progressivement une norme en néphrologie moderne, ouvrant la voie à des diagnostics plus précis et des traitements sur mesure. Cette évolution nécessite une adaptation des pratiques cliniques et une formation continue des professionnels de santé. La communauté néphrologique doit embrasser ces avancées pour transformer les promesses de la génomique en réalités cliniques tangibles, améliorant ainsi la prise en charge et la qualité de vie des patients atteints de maladies rénales ainsi que celle de leur famille. Il va sans dire que cette approche embrasse également la médecine prédictive et préventive de demain.
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