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Thérapeutique

20 fév 2024

Effets off-target des médicaments du néphrologue, mécanisme et impact

Simon VILLE, CHU de Nantes

Les effets off-target d’un traitement correspondent aux conséquences de son action sur une cible différente de celle intentionnellement visée. Plus largement ce terme est utilisé pour décrire des effets inattendus même s’ils sont dus à la modulation de la cible identifiée. Bien sûr ils peuvent être négatifs, ce sont les effets indésirables, mais aussi positifs vis-à-vis de la pathologie du patient, c’est-à-dire l’indication initiale du traitement.

Avec l’inflation du nombre de molécules disponibles pour une maladie donnée, ces effets off-target pourraient arbitrer les choix entre traitements au moment de la prescription. On comprend dès lors l’importance d’élucider leurs mécanismes et d’évaluer leur impact clinique. Deux études récentes permettent d’illustrer ces aspects.   Effet off-target de l’amiloride La première étude parue dans JASN relate le travail d’une équipe danoise s’intéressant aux effets de l’amiloride sur le système du complément dans les urines(1). Naturellement, ces dernières contiennent du C3 du C5 et de l’urokinase, l’enzyme qui dans le système de la fibrinolyse convertit le plasminogène en plasmine. Or la plasmine aurait aussi la propriété de cliver le C3 et le C5 libérant ainsi les anaphylatoxines C3a et C5a. L’hypothèse des auteurs est que lors d’une protéinurie glomérulaire la présence dans les urines de plasminogène (normalement absent) aboutirait à une production locale, intra-tubulaire, de C3a et de C5a en vertu de la boucle d’activation décrite ci-dessus (figure). Ce mécanisme participerait à l’inflammation tubulo-interstitielle satellite des maladies glomérulaires qui à terme évolue vers la fibrose interstitielle et l’atrophie tubulaire et conduit à une insuffisance rénale irréversible. Comment l’amiloride, ce diurétique épargneur de potassium qui agit sur le tubule distal pourrait-il s’opposer à ce phénomène ? Via l’inhibition intratubulaire de l’urokinase, répondent les auteurs, un effet off-target de l’amiloride démontré par leurs précédents travaux. Dans une première partie, la réalité de la production intra-tubulaire de C3a et de C5a favorisée par la présence du plasminogène, et son inhibition par l’amiloride, est démontrée de façon assez convaincante. En effet sur des urines issues de différentes cohortes, les auteurs observent une corrélation entre le degré d’albuminurie et la concentration en C3a et en C5a dans les urines, avec une baisse à 48h de l’introduction de l’amiloride. Dans une seconde partie, ils utilisent un modèle murin de KO inductible pour la podocine, où un traitement par tamoxifène induit une protéinurie croissante due à des lésions d’HSF (hyalinose segmentaire et focale). Dans ce modèle les auteurs confirment qu’un traitement par amiloride diminue la concentration urinaire en C3a et C5a et cela sans agir sur le ratio albuminurie/créatininurie (ce qui aurait pu être un biais). Enfin, ils interrogent l’impact potentiel du blocage de cette expression intratubulaire de C3a et C5a et de son inhibition sur l’inflammation et la fibrose mais retrouvent des résultats décevants qui se limitent à une baisse de NLRP3, une protéine de l’inflammasome, sans effet sur les marqueurs de fibroses.   Effets off-target emblématiques des gliflozines Les impacts positifs des gliflozines sur le cœur et le rein mainte fois démontrés, n’étaient pas le but initialement poursuivi et ne semblent pas expliqués par leur seul effet inhibiteur sur les récepteurs SGLT2 du tube proximal. La seconde étude d’une équipe chinoise, parue dans Annals of the Rheumatic Disease(2), prend comme point de départ une lettre de 2022 issue du même journal, dans laquelle des espagnols rapportaient une baisse surprenante de la protéinurie chez 5 patientes lupiques traitées par gliflozine. Partant de ce constat ils interrogent au moyen d’un modèle murin (MLR/lpr), dans lequel les femelles développent spontanément une néphrite lupique, les effets de l’empagliflozine administré à partir de 10 semaines. Les résultats à 20 semaines sont impressionnants, alors que les souris contrôles développent une néphrite lupique sévère, les souris traitées n’ont pas de protéinurie et de modestes lésions glomérulaires. Les auteurs démontrent ensuite que cette protection passerait par un effet sur les podocytes. Alors que ces derniers n’expriment habituellement pas le SGLT2, il l’est à la surface des podocytes des souris contrôle avec pour conséquence une apoptose médiée par l’inflammasome (NLPR3) et une altération mTOR1C dépendante de l’autophagie. Le traitement par l’empagliflozine ayant pour effet de diminuer l’inflammasome et de restaurer l’autophagie. Enfin et de façon encore plus surprenante les auteurs retrouvent aussi un effet sur le niveau des anti-DNA qui suppose une modulation de l’auto-immunité par l’empagliflozine.   Précisons que dans une correspondance parue en janvier 2024, Maria José Soler et Hans-Joachim Anders des experts reconnus de la néphropathie lupique exerçant respectivement à Barcelone et Munich contestent vigoureusement la véracité de ces résultats, tout en reconnaissant un probable effet bénéfique des gliflozines dans le contexte de la néphropathie lupique. Alors que les auteurs chinois fournissent une réponse point par point, il ne nous appartient pas de trancher le débat, l’avenir le fera pour nous. Ces deux articles mis en miroir révèlent un point essentiel pour les prescripteurs que nous sommes : la fréquente dissociation entre les mécanisme réels ou supposés des effets off-target et leur impact clinique. Alors que l’inhibition de la sécrétion intratubaire de C3a et C5a par l’amiloride semble réelle, son impact clinique est pour le moment douteux, à l’inverse ce dernier n’est pas contesté aux gliflozines sans que les mécanismes qui en sont à l’origine ne soient pour le moment élucidés, suscitant de vives controverses qui témoignent de l’importance donnée par la communauté à ces questions.

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